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HeartCraft

Discussion “à coeur ouvert” avec HeartCraft, qui égaie nos rues avec ses petits cœurs colorés.


(c) HeartCraft


Tu es connu pour ce motif de cœur assez caractéristique de ton travail, est-il une signature ou un élément à part entière des compositions ?

Un peu des deux. Au début, j'ai commencé en remplaçant tous les “i” que je trouvais sur les plaques de rues par ces petits cœurs qui sont ma signature. Je les mettais aussi par exemple sur les bornes Vélib’.


Il y a toute une symbolique dans ce visuel : deux amoureux s'enlacent, la chevelure de la femme enveloppant ce couple. La partie féminine du cœur est volontairement plus importante que celle masculine.


C’est un motif qui autorise de nombreuses variations sur la représentation de l'amour : des couples de tous genres, religions et origines, etc. J’ai même représenté une Marianne et des personnes avec des masques !


A présent, j'intègre ce motif dans des compositions plus élaborées, qui me permettent d'exprimer de nouvelles idées, tout en conservant le cœur en tant qu'élément central de la composition et du message.



(c) HeartCraft


Comment en es-tu arrivé au Street Art ?

Le jour même des attentats de Charlie Hebdo, quand j’ai appris la nouvelle, je me suis tout de suite mis à dessiner des caricatures pour extérioriser mes émotions.


Puis, je me suis pris au jeu et j'ai commencé à pratiquer quotidiennement cet exercice de la caricature. Puis, je ne saurais trop dire comment, mais j’ai ouvert les yeux sur l’art dans la rue, et j’ai découvert un monde parallèle que je n'avais jamais remarqué jusqu'à présent.


C'était une période, fin 2016 - début 2017, chargée au niveau de l'actualité… le monde changeait… Toute une "génération" spontanée de street artistes est apparue à cette même période : Ardif, Lego_totheparty, Ami Imaginaire, Jaeraymie, Fé_tavie et quelques autres encore… phénomène suffisamment rare pour être souligné..


Pour moi, il y avait aussi une frustration par rapport à ma vie professionnelle. En plus de street artiste, je suis également auteur, comédien et mannequin. Pour toutes ces activités, la concrétisation d’un projet est très dépendante de la volonté d’autres personnes : est-ce que je vais être retenu pour tel rôle, telle séance photo, l’éditeur va-t-il apprécier mon texte etc. En plus de cela, en ce qui concerne l’écriture, le processus est très long et incertain.


Dans ce contexte, ce n’est pas innocent de sortir un cœur comme moyen d’expression, il doit y avoir quelque chose du ressort de l'inconscient. C'était mon droit de réponse aux discours ambiants, je voulais propager un autre message que celui, anxiogène, qui circule depuis quelques années. Le street art, c'est ma façon de me mêler des affaires de la Cité, des affaires du Vivant (selon le mot de l'écrivaine Flore Vasseur).


Par ailleurs, quand on est soumis à la validation des autres comme je le suis, on se pose forcément la question de sa légitimité lorsqu’on essuie un refus. Dans le street art, personne ne te coupe dans ton élan dès le début, tu es ton propre Directeur Artistique ! Tu as donc un accès direct pour montrer ce que tu as dans la tête et le cœur, sans besoin d'intermédiaire.


(c) HeartCraft


Tu n’avais pas cette appréhension au début, de montrer quelque chose directement au public, sans savoir si cela allait plaire ou pas ?

Pas du tout ! Je ne pensais pas trop à l'avis des gens, la rue est un public anonyme, c'était avant tout un besoin très personnel d'exprimer ce que je portais en moi.


En règle générale, les gens accueillent plutôt bien les œuvres même s’il y a quelques exceptions. Un jour où l’on était quelques-uns à coller sur un mur, une dame s’est approchée et nous a dit “Ha oui c’est très bien ce que vous faites, bravo !” et quand on lui a demandé ce qu’elle préférait dans toutes les œuvres elle nous a répondu “Comment ça, mais je croyais que vous les enleviez, ces horreurs ! Vous n'êtes pas employés par la mairie de Paris ?”.


Hormis cette anecdote et quelques autres, je n'ai jamais vraiment eu de problèmes avec les gens, leurs commentaires sont le plus souvent positifs. Si tu veux te lancer dans le street art (comme dans beaucoup de choses dans la vie finalement), il ne tient vraiment qu’à toi de le faire !


En 2017, en me baladant dans une librairie, je me disais “ça doit être génial d’être dans un bouquin !” ; presque 4 ans plus tard, je retrouve mon travail dans une dizaine de livres déjà ! Je trouve cela complètement fou et magnifique car le livre est pour moi un objet quasi sacré. Tout ça pour dire : "Ne demandez pas la permission pour vivre vos rêves !”.


(c) HeartCraft


En tant qu’artiste, c’est aussi important de pouvoir s’inscrire dans la durée.

Oui, mais il est aussi fondamental de pouvoir évoluer, de ne pas proposer sans cesse la même chose. Trouver un motif visuel que les gens apprécient, c'est super ! Mais l'ennui guette si vous vous enfermez dedans sans oser vous réinventer. C'est important de pouvoir se renouveler et de continuer à avancer dans son art.


Je me sens une fibre artistique oui, quant à savoir si je suis un artiste … j’ai en tout cas besoin de m’exprimer grâce à un art. Je préférerais peut-être la notion d’artisanat : j’ai besoin d’offrir des pièces uniques quand je les colle dans les rues, j’essaie de faire en sorte que mon travail soit novateur et original.


(c) HeartCraft


Le dessin occupe-t-il une place importante dans ton travail ?

Je ne suis pas un dessinateur à proprement parler et si je devais représenter exactement l'idée que j'ai en tête, cela me prendrait des semaines, et j'ai trop d'idées en tête pour avoir cette patience. Je suis très admiratif des gens qui arrivent, en 2-3 traits, à représenter une figure, un paysage, une scène de vie, le dessin de presse me fascine aussi… mais ce n'est pas moi. Ce qui m'importe, c'est le message, l'idée, ensuite j'utilise les ressources modernes à ma disposition pour réaliser mes œuvres.


Je peux passer des heures à rechercher la photo qui provoquera un déclic chez moi, mais je ne pourrais pas expliquer pourquoi telle photo plus qu’une autre m’a fait quelque chose. J’aime me laisser surprendre, puis travailler à partir de cette base. Je recherche mes images un peu comme je travaille sur les mots : sans relâche. Je reviens travailler dessus jusqu’à être entièrement satisfait.


Je me bats pour une virgule, pour le mot juste - quitte à en inventer des nouveaux. A l'image du poète Aimé Césaire qui forgea le terme de "négritude" pour exprimer une pensée qui deviendra un courant littéraire et politique partagé et enrichi, notamment, par Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, Birago Diop, René Depestre …


On a parlé de l’amour, tu as mentionné également ton attrait pour la caricature, l’humour fait partie de ton travail ?

Pas tant au niveau des messages que de la présentation des pièces. On vit dans un monde où les réseaux sociaux permettent de diffuser largement son travail et ses pensées pour le meilleur et souvent pour le pire. Si l'on veut surnager dans cette mer d'informations, il faut être créatif et essayer de présenter l'œuvre de façon sympa pour être visible.


Le street art est par essence gratuit, tu partages dans la rue ton univers émotionnel, artistique, politique à tes frais et tu en vis rarement les premières années, voire les autres qui suivent. Mettre en scène ses créations sur les réseaux, cela permet d'augmenter sa visibilité et qui sait d'obtenir des opportunités professionnelles en lien avec son travail. Et vivre de son art, ce ne serait pas si mal, non ?


(c) HeartCraft


Le street art, pour toi, c’est quoi ?

Le street art, pour moi, c'est la liberté, liberté créatrice, liberté d'être soi, d'exprimer et partager son univers et ses émotions... en toute illégalité.


Dans son essai sauvage "Pourquoi l'art est dans la rue ?", le street artiste Codex Urbanus rappelle justement que l'un des critères sine qua non du street art est l'illégalité. On voit fleurir depuis quelques années de nombreux festivals de street art et autres manifestations qui, aussi attractives et plaisantes soient-elles, ne sont pas du street art.


(c) HeartCraft


HeartCraft à la loupe


Quel est l’artiste vivant qui t’inspire le plus ?

C'est toujours difficile de réduire son inspiration à un nom, un artiste car, selon moi, nous sommes la somme de ce que nous avons vécu, perçu, emmagasiné depuis tout petit.


Sartre dit que "l'enfance décide", je suis d'accord : mon travail est nourri de tout ce vécu, en bien ou en mal mais pas que, il se nourrit aussi du présent. Je crois que nous sommes en perpétuelle évolution, curieux de tout : musique, peinture, lectures, entretiens, débats, expositions, films, concerts et tant d'autres choses encore car oui, les arts sont des biens essentiels… vitaux même.


L'œuvre dont tu es le plus fier ?

Fierté est un bien grand mot, je dirais plus que les œuvres dont je suis le plus satisfait sont celles qui marquent une évolution dans mon travail, où je suis sorti de ma zone de confort, de ce que je savais faire pour explorer de nouveaux horizons.


Depuis peu, je travaille sur une série de dos féminins, toujours en y intégrant mon cœur signature. Ce sont des œuvres plus matures par rapport à ce que je proposais jusqu’à présent.


J’ai également réalisé un pochoir de cœur reprenant le blason de la République Française, avec un crayon à la place du faisceau de licteur, qui pour moi, est une réalisation importante symboliquement et malheureusement toujours d'actualité.


(c) HeartCraft

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