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Ninin

Discussion avec Ninin, artiste argentin qui nous amène à réfléchir sur les thèmes de la colonisation et de son impact sur l'identité des populations locales.


Visitez sa page Instagram et retrouvez en fin d’entretien le manifeste de NININ pour son projet ‘Contracolonia’.

Photo : Ninin


L'œuvre dont tu es le plus fier ?

Ma reprise de “La Liberté guidant le peuple” de ma série Contracolonia. C’est une des premières fois que je faisais un collage avec des personnages à taille réelle et je suis assez content du rendu graphique ... même si ça a été toyé très rapidement !

Photo : Ninin


Ta technique artistique préférée ? Ce qui m’amuse beaucoup en ce moment, c’est la sérigraphie.


J’ai commencé il y a moins de deux ans mais cela permet d’appréhender le processus de création de façon complètement différente, surtout pour la phase de conception. Comme chaque couleur va demander un passage de couleur, on doit prendre en compte cette contrainte. Cela veut dire restreindre le nombre de couleurs, éviter les dégradés, etc.


C’est une technique qui me permet de proposer des multiples, dans les galeries ou dans la rue. Je suis très fier d’amener cette technique artisanale et cette façon de faire, tout à la main, dans la rue.

Sinon, j’aime bien la sculpture qui permet de sortir du format habituel, carré ou rectangulaire, des tableaux.


Photo : Ninin


L’artiste vivant qui t’inspire le plus ?

L’artiste Blu (http://blublu.org/b/), complètement underground, il ne fait que de la rue. À main levée il parvient à réaliser des fresques hyper élevées ! Il traite peut-être de thèmes “faciles” (capitalisme, environnement, ...) mais il le fait toujours de façon très intelligente.


Il y a d’ailleurs une anecdote que j’aime bien sur Blu. Il lui est arrivé de peindre une grande fresque à Berlin sur un terrain abandonné qui donnait sur un immeuble de logements. Avec la présence d’une telle fresque, il se trouve que le prix des appartements a vraiment augmenté !


Quand il a appris ça, Blu est allé repeindre par-dessus sa fresque car c’est justement ça, la spéculation, qu’il a l’habitude de dénoncer. J’ai trouvé le geste super, très cohérent.

Peux-tu présenter tes origines, ton parcours, qu’est-ce qui t’a mené à Paris ? Je fais de la peinture depuis que j’ai 12 ans. Je suis né et j’ai grandi en Argentine, à Cordoba. Là-bas, ma grand-mère m’avait emmené prendre des cours dans l’atelier d’une peintre, ma passion est née comme ça.


A 20 ans je m’étais lancé dans des études de marketing et design parce qu’on m’avait dit qu’il fallait faire une carrière où on gagnait de l’argent, que comme artiste on mourait de faim, etc... mais j’étais malheureux dans ces études !


J’ai arrêté pour me consacrer à mon art et avec ma copine on a décidé de tenter notre chance à Paris après avoir voyagé un peu entre l’Argentine et le Brésil. Donc on arrive à Paris, on ne parle pas un mot de français et on essaie de vendre nos dessins dans la rue, on part de rien !

À l'époque, je ne faisais pas encore de street art, mais je rencontrais des gens qui commençaient à m’en parler et la démarche me plaisait bien.


Puis j'ai notamment rencontré Noty Arroz qui m’a proposé des collaborations et c’est là que ça a bien démarré pour moi. J’ai pu lâcher mon travail alimentaire et me consacrer à la pratique artistique.


Photo : Ninin


Les rencontres que tu évoques t’ont aidé dans ton cheminement artistique ?

Oui, les autres artistes sont une grande source d’inspiration pour moi.


Par exemple, Jérome Rasto est l’un des premiers artistes avec qui j’ai collaboré dans la rue. On s’est bien entendu et nos deux univers fonctionnent bien ensemble, à la fois graphiquement et sur le message. Lui reprend un graphisme inspiré de l’art médiéval européen et moi de l’art pré-colombien. On a montré le résultat de notre collaboration lors d’un duo show qui imaginait la rencontre de ces deux civilisations. Et à travers cette rencontre de civilisations c’est aussi la nôtre qu’on racontait !


Sinon, il y a tous les artistes avec qui je partage mon atelier, La Cale, à Montrouge qui m'aident à me dépasser et à rester très exigeant avec moi-même.


Comment as-tu évolué dans ton travail ?

Dès le début, ça se voyait déjà que je venais d’Amérique latine, l’assemblage de couleurs, le dessin qui rappelle un peu l’art brut, ... les gens en reconnaissaient l’origine.


Quand j’ai commencé à me consacrer entièrement à l’art, je me suis posé la question de ce que je faisais. Faire quelque chose de beau, d’esthétique peut être satisfaisant mais ça ne me suffisait pas, il me manquait du sens, un message derrière la production artistique. Faire quelque chose seulement beau quand on intervient dans la rue, je trouve ça absurde parce qu’on impose une image aux autres donc autant proposer en plus un message pour ceux qui verront cette image.


En plus, je me sentais loin de chez moi, cela faisait presque 2 ans que je n’avais pas été en Argentine.


Je me suis donc intéressé de plus près à l’art préhispanique d’Amérique latine et c’est de là que vient par exemple le motif de tête de mort, très présent dans cette culture et qui est devenu comme ma signature aujourd'hui.


Aujourd’hui j’ai envie de proposer une réflexion sur la façon dont le colonialisme en Amérique latine a façonné une nouvelle identité au détriment de la culture locale historiquement présente.


Photo : Ninin


À quel moment dirais-tu que tu as trouvé ton identité d’artiste ?

Je pense que j’ai trouvé la base mais ça continue à évoluer tous les jours.


La série que je développe actuellement, Contracolonia, s’inscrit dans cette évolution. Le concept que j’y travaille, c’est justement une colonisation à l’envers, parce que l’identité des latino-américains a été “contaminée” par le colonialisme européen, et aujourd’hui ils veulent retrouver cette identité qui leur est propre.


Avec mes œuvres, je cherche à provoquer la réflexion sur ces thématiques de colonisation, d’identité, même si je ne suis pas moi-même un “natif”. Mes ancêtres étaient européens, mais je suis proche politiquement et philosophiquement de la cause indigène. Mon éducation a été très euro-centrée car à l’école on nous apprend les choses comme ça, on nous apprend que les origines étaient sanglantes mais qu’aujourd’hui on est dans une Argentine unie ... mais non, il y a toujours des traces de ces origines !


En faisant des recherches, en m’informant, j’ai découvert une nouvelle façon de voir les choses. Par exemple, le peuple des Mapuches, dans le sud de l’Argentine, est entré dans un conflit territorial armé et très violent avec de grandes corporations qui veulent exploiter leurs terres. Il y a même eu des morts dans ce conflit ! Les Mapuches revendiquent ces terres parce qu’ils étaient là avant, mais l’Etat ne les suit pas. Les lois sur la propriété ne vont pas dans leur sens puisque déjà les propriétés ont été établies en donnant des terres à des colons alors qu’elles étaient occupées par les indigènes. Donc quand la loi protège la propriété privée, ça se base sur une situation où déjà il y avait eu une injustice.


Aujourd’hui je suis très sensible à cette cause des cultures dont l’existence est menacée. C’est un problème loin d’être simple et toujours d’actualité malheureusement. Mais je me rends compte aussi que c’est un sujet complexe et que l’art visuel est limitant pour exprimer toute cette complexité et les idées qu’on peut avoir, donc je commence à vouloir élargir le concept à d’autres domaines d’expression. Je m’intéresse de plus en plus aux documentaires, à faire des ponts entre les cultures. J’ai par exemple déjà organisé une exposition en France avec des street artistes argentins, où on a montré le documentaire qu’on avait tourné lors d’un voyage là-bas et pendant lequel on avait peint plusieurs fresques.


Photo : Ninin


La colonisation étant un processus violent, ne crains-tu pas que certains voient dans ce titre “Contracolonia” une tentative de riposte artistique, une “déclaration de guerre culturelle”, alors que ça n’a pas l’air d’être ce que tu recherches ?

Je me suis posé la même question quand je réfléchissais au sujet parce qu’avant, je revisitais des symboles préhispaniques pour les mettre sur les murs de capitales européennes. C’était un peu une démarche revancharde “vous nous avez colonisés, je vous colonise à ma façon”.


Puis je me suis questionné sur ce que je ressentais, moi... est-ce que l’Amérique latine veut vraiment contre-coloniser l'Europe ? En fait ce n’est pas ça, on veut surtout se libérer, retrouver une vraie identité.


Ce n’est pas tant une contre-colonisation qu’une redécouverte de soi-même. Si on est catholique par exemple dans cette région, c’est à cause des Espagnols et leur prosélytisme. On va tous reconnaître une image de Jésus mais pas des idoles incas par exemple. Avec mon travail, je montre cette envie qu’on a de retrouver nos racines culturelles.


D’ailleurs, je pense que mon travail a du sens parce que je suis en Europe, et que les gens comprennent ce qu’il y a derrière. Je suis content quand les gens reconnaissent et me disent “Tiens c’est la Joconde en mode inca !”, ça veut dire qu’ils sont réceptifs.


Photo : Ninin


Tu te considères comme un artiste engagé ?

En tout cas, j’aimerais qu’on me voie comme ça, sur ce sujet qui me parle et que je trouve important de la “contre-colonisation”. Ma responsabilité d’artiste, c’est de parler à ma façon des conflits en Amérique latine par rapport au colonialisme.


Je suis engagé par le sujet que je traite, mais aussi par les techniques que j’emploie. Je fais attention à ne faire que de la production artisanale, entièrement à la main. Par exemple, je ne fais pas de photocopie quand je colle dans la rue, je tiens à faire les œuvres moi-même.


Après, l’’esthétique c’est plus pour moi, je ne cherche pas forcément des réactions du public par rapport à ça. Ce qui compte le plus pour moi, c’est le message véhiculé. Par exemple, la fresque sur le rideau de la galerie Wawi, pendant la performance, les gens ont reconnu et compris de quoi il s’agissait et je crois que ça a provoqué leur réflexion.


J’imagine que ce sont des messages qui ne plaisent pas à tout le monde ?

Oui, parce que je reprends des symboles parfois sacrés, comme un Jésus ou une Vierge de Guadalupe, donc il y en a que ça dérange. J’ai déjà été toyé ou déchiré en moins de 24h sur un collage.


Mais je suis à l’aise avec le toy parce que ça fait partie du jeu et que ça signifie que mon œuvre crée des réactions. C’est dommage pour les 2 ou 3 jours de boulot mais je suis réceptif au retour du public.


En général, les gens qui font ça, ça peut être des voisins qui n’aiment pas le street art, des gens qui sont sensibles à certains sujets, des graffeurs qui n’aiment pas comment le street art est en train d’évoluer, etc. mais le pire selon moi, ce sont les “fans” qui décrochent soigneusement les œuvres pour les ramener chez eux. C’est à l’opposé de ce qui fait la beauté du street art, c’est d’un égoïsme ! Le street art, c’est pour tout le monde, et même si c’est par nature éphémère et que c’est ça qui le rend justement intéressant, enlever une œuvre pour son plaisir personnel, je trouve ça absurde.


Photo : Ninin


Selon toi, quelles sont les différences entre les pratiques de street art entre l’Argentine et la France ?


En Amérique latine, il y a une culture beaucoup plus tournée vers le muralisme, donc on voit beaucoup plus de pièces très grandes. La configuration des villes permet de peindre des murs plus librement qu’à Paris. Par exemple, là-bas si on a l’accord du propriétaire, on n’est pas dérangé par les autorités.


Tu as des idées de projets pour la suite ?


Après l’exposition Contracolonia et quand les frontières rouvriront, j’aimerais faire un voyage en Amérique latine (Mexique, Pérou, Bolivie, ...) pour rencontrer des natifs et faire un travail de terrain.



Photo : Ninin



*** Manifeste pour ‘Contracolonia’, par NININ ***


Le 12 octobre 1492, Christophe Colomb posait pied en Amérique Centrale en s’imaginant être arrivé en Asie. Loin de découvrir des territoires vierges, il s’est trouvé face à de nombreuses civilisations qui vivaient sur ces terres depuis plus de mille ans. Le reste de l’histoire est bien connu de tous.

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500 ans plus tard, des ouvriers du bâtiment découvrent par hasard les vestiges du Templo Mayor de Tenochtitlan, juste en contrebas de l’imposante cathédrale de la Ville de Mexico, une découverte qui va bien au-delà que celle de simples ruines.

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Dans cet événement crucial pour bien saisir la construction identitaire de l’Amérique Latine, l’intention volontaire d’effacer le passé apparaît clairement.

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Ce processus colonial a généré un phénomène complexe que l’on appelle le Métissage dans lequel se cristallise une présence européenne invasive qui se manifeste, entre autres, dans la langue, l’architecture et les croyances.

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Cependant, les peuples autochtones ont continué de résister à travers la conservation de leur culture ancestrale, et une grande partie de la communauté sud-américaine lutte toujours pour faire réapparaître au grand jour ce que les envahisseurs avaient enterré sous les églises.

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Contracolonia représente cette résistance sud-américaine face à la colonisation culturelle européenne.

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Contracolonia est une invitation à réfléchir sur la reconquête culturelle des peuples qui ont vu leur identité menacée, pour tous les peuples qui le souhaitent.



Photo : Ninin

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